Talca Paris y Londres: une histoire de chapelier

14 septembre 2019



    Premier jour de mes premières vacances pour les fiestas patrias. Devant la maison de ma famille d’accueil, le drapeau chilien flotte dans le vent de septembre. Sur la porte de ma chambre j’ai trouvé un habit de huasa elegante, pour célébrer le 18 (“dieciochoooo” sur un ton euphorique) d’asado en asado. 



Après le petit déjeuner, je croise mon père d’accueil qui me propose de sortir pour l’accompagner compléter sa tenue pour les fêtes. L’accessoire qui lui manque, ce n’est pas n’importe lequel, c’est l’indispensable chapeau de huaso. Le huaso, (ça me fait sourire la première fois que je l’entends parce que je ne peux m’empêcher de le transposer en oiseau) c’est un peu le cow-boy chilien, l’image du cavalier en habits traditionnels. En peine sorti de Talca, il est assez fréquent d’en croiser sur le bord de la route, toujours avec leur cheval et leur chapeau. 


En route pour compléter le look de huaso donc. En route vers Le chapelier de Talca. Nous arrivons devant un petit magasin sombre, dont on ne voit pas vraiment le fond. A l’intérieur, des étagères entières pleines de chapeaux empilés les uns sur les autres. Un vieil homme courbé sort de l’arrière boutique pour nous accueillir. Il a la peau diaphane et les yeux bleus presque translucides. Ses doigts sont longs et fins: précis. Quand il aperçoit mon père d’accueil, son regard s’illumine. Il est certain qu’ils se connaissent. J’apprendrai par la suite que le père de L. était un vieil ami de ce chapelier. 

    Les deux hommes se saluent chaleureusement. Je reste un petit peu sur le côté mais suis vite présentée par L. 
“Tio (oncle en espagnol, façon affective et respectueuse d’appeler ses aînés) te presento a mi hija francesa, Ella.” 
Le vieillard sourit, “Aaah, Francia... Talca, Paris y Londres” ajoute-t-il en riant. 
Cette expression “Talca, Paris y Londres” je l’avais déjà entendu. Dans le mall à côté de la maison, il y a trois horloges, une réglée à l’heure chilienne, une autre à l’heure française et une dernière à l’heure anglaise. Au terminal de bus, de nombreux véhicules sont ornés des majuscules TPL, les initiales de ces trois villes liées. J’avais d’ailleurs été amusée par cette petite touche française connectée à l’histoire de Talca, comme Talca qui était désormais connectée à l’histoire d’une petite française. 


El origen del dicho? L’expression évoque le passé prospère de la ville, qui s’est développée au XIXe siècle apparemment grâce à des étrangers qui développèrent le commerce, l’industrie et l’agriculture. 


“Tu connais l’origine du dicton, n’est ce pas?” poursuit le vieux chapelier. J'acquiesce en souriant. “Mais tu dois seulement connaître la version de tout le monde, pas l’originale, celle que peu de gens racontent, que peu de gens connaissent.” Il marque une pause sur un autre rire silencieux, le regard ailleurs, vers un passé lointain. “Vois tu, bien avant que je ne sois moi-même chapelier, il y avait un autre fabricant de chapeaux. Un grand homme, très riche, tout le monde allait chez lui lorsque la nécessité d’un couvre chef se présentait. Mais le succès, ce chapelier ne l’avait pas toujours connu. Il avait mis du temps à l’attraper d’ailleurs, mais une fois qu’il a eu, il ne s’en est séparé qu’à sa mort.  Et tu sais comment il a fait? Sous l’enseigne de son magasin, il a affiché “Talca, Paris y Londres” en grandes lettres dorées. Le modeste vendeur de chapeaux talquinais était devenu d’un coup, d’un seul un grand commerçant qui faisait des affaires avec l’international! Tout le monde se ruait pour acheter ces sombreros qui se vendaient en Europe! Et le chapelier de devenir riche, riche, riche! Je le dis, moi qui suis dans le métier depuis toute une vie, chapeau bas, c’est qu’il n’avait pas qu’un seul tour sous son chapeau!”   

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