Inara
Voici une nouvelle que j'ai écrite dans le cadre du concours d'écriture Unicef 2020, sur le thème de la protection de l'environnement et de la lutte contre les changements climatiques. Je n'ai pas été sélectionnée parmi les dix lauréats mais je souhaitais tout de même la partager.
“Inara” murmura le vieil homme.
Il n’avait plus émi un seul mot depuis plusieurs semaines
déjà, son flot de parole s’asséchait, alors la jeune fille s’était précipitée
quand elle avait entendu son prénom. Les mots et les histoires de Cheche, son grand père, c’était sa
grande puissance, mais maintenant que sa voix s’éteignait, il s’en allait
aussi.
“Oui Cheche?”
Le vieil homme prit son inspiration comme s’il se
préparait à un grand effort.
“Inara, la rivière chuchote ton nom, retrouve qui l’a
tuée.” dit-il en un souffle qui cascada fluidement de sa bouche. Il laissa
s’écouler les dernières gouttes de son soupir, sourit, et sa bouche entrouverte
se ferma en même temps que ses yeux.
“Cheche?”
interrogea la jeune fille qui redoutait l’air définitif de ses paupières
closes. Elle lui secoua le bras, mais l’espoir avait filé, effrayé par le bruit
de tonnerre qu’entonnait désormais son cœur.
Inara sortit de la maison, besoin de s’accrocher au ciel
bleu. De l’extérieur, la petite ferme paraissait toute frêle à côté de la
majestueuse Cordillère des Andes qui formait la ligne de leur horizon à
quelques heures de là. C’était dans la vallée au Nord de Santiago que sa
famille s’était installée après avoir quitté les terres pluvieuses du Sud, la
terre de leur peuple, les Mapuche, qui vivaient au Chili bien avant qu’il ne
s’appelle Chili.
La jeune fille n’avait pas connu le Sud mais elle avait
été bercée par les histoires de son grand père, ses contes de condor et de
puma, des grands arbres pewén et de ngünemapu, cet esprit qui animait tout
avec amour. Mais maintenant c’était fini, les histoires s’étaient tues et leur
dernière phrase ne voulait rien dire.
Inara sentit sa poitrine se serrer. Elle eut soudain très
soif. Elle fit quelques pas jusqu’à la citerne, ouvrit le robinet qui n’émit
qu’un cri grinçant. Plus d’eau. On était en avril et il n’y avait pas eu une
seule goutte de pluie depuis fin octobre, au début de l’été austral. Le visage
crispé, la jeune fille tourna la tête. Sur le sol, son regard s’attarda sur les
restes de la vache qu’ils avaient perdu le mois dernier. La soif. Au Chili,
tout le monde ne pouvait pas l’étancher. Des entreprises privées s’arrachaient
le commerce d’une eau toujours plus précieuse, qui ne coulait pas dans tous les
foyers. Lorsqu’il ne pleuvait pas, la soif s’invitait impunément dans la petite
ferme.
Inara s'agenouilla pour secouer avec rage la poussière
qui dévorait doucement le crâne de la vache. Mais irritée d’avoir été remuée,
la poudre ocre lui offrit une quinte de toux alors que ses yeux irrités
s’embuaient.
Au-delà du squelette incomplet de la vache c’était le
squelette de la rivière qui gisait, lui aussi dévoré lentement par la
poussière. Une larme roula, traçant son lit sur le visage d’Inara. Foutue
poussière ! Si seulement elle pouvait irriter les yeux des rivières pour les
faire couler de nouveau…
Alors qu’elle s'apprêtait à faire demi-tour, un éclat de
lumière attira ses yeux vers le souvenir estompé de la rivière.
Dans le sol desséché du cours d’eau était planté un
couteau. La lame était enfoncée à moitié, le manche pointant vers le ciel. “Les
gens jettent vraiment sans réfléchir” soupira Inara en décochant un regard noir
aux nombreux déchets qui avaient remplacé l’eau dans le lit de la rivière.
La rivière poignardée, était-ce de ça dont voulait parler
Cheche? Pff, ridicule, juste un
ivrogne persuadé qu’il plantait Excalibur…
Pourtant, en relevant la tête, des taches rouges comme le
sang attirèrent ses yeux. Inara s’approcha d’un grand bouquet de fleurs
écarlates, éclos au beau milieu de la rivière malgré la sécheresse. A quelques
mètres de là, se trouvaient d’autres fleurs, les unes collées aux autres comme
pour manifester, le rouge aux joues, contre la poussière qui avait remplacé
l’eau sur les cailloux.
Et tous ces pétales poursuivaient leur chemin en remontant
la trace du cours d’eau, évoquant une longue traînée de sang sur la rivière
disparue. Une vraie scène de crime.
“Ou juste des fleurs rouges sur un sol craquelé par la
sécheresse, inutile d’en faire toute une histoire.” se dit Inara. Mais la voix
de Cheche s’écoula jusqu’à son
esprit.
«Connais-tu la naissance du Copihue, cette fleur qui est
devenue l’emblème chilien?
Il y a très longtemps, bien avant la naissance du Chili, de valeureux guerriers Mapuche
grimpèrent dans les pins pour mieux observer la terre après un violent combat.
En voyant leurs amis étendus sur le champ de bataille, ils pleurèrent de toute
leurs âmes. Lorsque leurs larmes touchèrent le sol en se mêlant à la mare de
sang des soldats morts, elles se transformèrent en de belles fleurs rouges.
-Pour de
vrai Cheche? C’est vraiment arrivé,
comme par magie?
-Ma chérie,
la magie existe si tu ne fermes pas les yeux pour la faire taire, elle existe
si tu sais la regarder» répondait le vieil homme, les yeux rieurs.
N’était-il
pas temps de regarder le monde en histoires, comme Cheche? Et si sa dernière phrase n’était que le début d’une
histoire, qu’attendait-elle pour écouter le dernier récit de son grand-père? Si
ces fleurs sang lui faisaient entendre son grand père,
qu’attendait-elle pour les suivre?
Le cœur de
la jeune fille fit un bond dans sa poitrine et commanda ses pieds de le suivre.
Elle se mit en route, sur la piste des Copihues, bien décidée à élucider le
mystère du sang de la rivière.
Au bout
d’une heure, ses guides se firent de moins en moins nombreuses. Les bouquets
s’amincirent jusqu’à ce que le sang ne soit figuré que par une fleur solitaire. Au-delà, un grillage enfermait un gazon prétentieusement vert qu’un
arrosage automatique mitraillait par à-coups. Entre la rivière assassinée et
cette oasis, un gros tuyau miroitant au soleil servait de transition. Son
extrémité pompait la poussière fatale. Un panneau stipulait PROPIEDAD PRIVADA, exploitation d’avocats
PALTOR.
Le tonnerre gronda et cette fois-ci Inara ne pût le
retenir. Ce nom, PALTOR, elle l’avait vu plusieurs fois sur des papiers au
milieu de la cuisine, ceux qui faisait froncer les sourcils de son père et qui
faisait taire Cheche.
L’exploitation d’avocats avait acheté la rivière pour
arroser mille litres d’eau pour chaque kilo de leurs précieux avocats, bien
plus que ce que la citerne de la ferme ne pourrait jamais contenir! Ce tuyau
poignardant la rivière avait pompé son chuchotement et fait régner la
poussière.
Mais ce n’était pas le seul coupable. Ce n’était que le
pantin d’un autre qui répondait au nom de production, de profit, et de tous ces
pros qui défendaient la cruauté d’un progrès qui va toujours plus loin,
toujours trop loin.
Inara cria, et son cri déclencha une hémorragie de larmes
qui roula sur ses joues. Au-dessus d’elle de gros nuages électriques prenaient
leur inspiration pour crier eux aussi. Le bruit du tonnerre déclencha une
hémorragie de pluie et en quelques minutes la poussière baissa les armes. Un
ruisseau grandissant lécha les pieds trempés de la jeune fille, il chuchotait
doucement “Mari mari Inara”: “Bonjour,
gardienne de l’eau” en mapuche.
j'aime beaucoup, c'est si doux
RépondreSupprimerAww merci ma Gege
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